Le début de la guerre, Liban, 1975

Mes parents étaient encore au Liban lorsque, le 13 avril 1975, un bus transportant des Palestiniens, qui traversait un quartier chrétien de Beyrouth, avait été pris sous le feu des phalangistes. Cet événement faisait suite, ce jour-là, à la mitraillade d’une église où l’un des gardes du corps de Pierre Gemayel avait été tué. Mon père devait jouer une pièce de théâtre à Beyrouth et elle avait été annulée. À chaque fois qu’il montait une pièce de théâtre, des incidents survenaient et empêchaient sa représentation. Un soir, les spectateurs en étaient même venus aux mains. Toujours cette même histoire, des propalestiniens contre des anti, et mon père au milieu à vouloir tabasser tout le monde.

Cet événement, aujourd’hui considéré comme le début de la guerre du Liban, était à l’époque un de plus au milieu de tant d’autres. Les fusillades, les accrochages étaient habituels depuis que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, s’était installée dans le pays avec ses combattants, les fedayin, après qu’ils avaient été renvoyés de Jordanie. Les accords secrets du Caire, signés le 3 novembre 1969 entre une délégation menée par le général Émile Boustani, commandant en chef de l’armée libanaise, et l’OLP, consacraient le droit de la résistance palestinienne à mener des actions à partir du territoire libanais et légalisaient leur présence armée, présence qui allait instaurer un sacré foutoir dans le pays. J’ai demandé à mon père qui en connaît un rayon sur l’histoire du Liban : « Pourquoi le général Boustani a accepté de signer de tels accords ? », sa réponse fut limpide : « L’argent. » Il est facile de le croire tant les dirigeants libanais ont eu et ont toujours la fâcheuse manie de vendre leur pays pour une poignée de dollars.

 

Personne n’imaginait que ces tensions sporadiques entraîneraient une guerre de quinze ans. Comme beaucoup de leurs compatriotes, mes parents se disaient : « Le mois prochain, c’est terminé. »

Quinze jours après l’arrivée de mes parents à Paris, l’aéroport de Beyrouth ferma ses portes. Une fusillade avait éclaté. Trois hommes armés de fusils-mitrailleurs avaient pénétré dans l’aéroport, tirant plusieurs coups de feu. Deux morts et seize blessés avaient été décomptés. Voulaient-ils détourner un avion ou commettre des destructions ? Nul ne le sait. Comme beaucoup d’incidents qui ont eu lieu au Liban durant cette période, le but de l’opération demeurait inconnu car raté. Souvent des timbrés, des branquignols, des miliciens du dimanche qui, du jour au lendemain, se déclaraient combattants d’une milice qu’ils avaient inventée eux-mêmes, prenaient des décisions seuls et, sans aucune préparation, se lançaient dans des actions armées.

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C’est mon père qui a annoncé la fermeture de l’aéroport à ma mère. Chaque jour, il se rendait à la Maison du Liban dans la Cité Universitaire pour avoir accès aux journaux arabes.

Lorsqu’il rentrait à l’appartement, il donnait à ma mère des nouvelles du pays. Ce jour-là, ma mère s’est effondrée. Elle prévoyait de retourner quelques jours au Liban, voir ses parents avant Noël. Son plan tombait à l’eau. Mon père l’a prise dans ses bras et lui a dit : « L’année prochaine, tout cela sera terminé. » Le mois deviendrait une année.